Ashley Moponda, de l’invisible à l’indicible

Selfie Ashley

Pendant une heure perdue à errer sur cette aire d’autoroute nommée Facebook, je suis tombé sur une photo qui m’a interpellé. Le message est clair et tape là où ça fait du bien ; on parle de black love. Le mec du couple a le crane rasé et une barbe…encore un qui essaie de me ressembler, ce manque d’imagination m’exaspère. Après avoir terminé de contempler mon nombril, je décide de m’intéresser au projet, à son message et son messager.

A ma grande surprise, c’est une messagère…congolaise…photographe…autodidacte. Tous les éléments sont réunis pour que ma curiosité s’éveille, là assis sur le banc de cette aire d’autoroute. De toute façon, qui de nos jours prend un grand noir chauve et barbu en auto-stop ? Autant s’occuper…

J’entame mon enquête sur le personnage. Elle s’appelle Ashley Moponda (celle qui donne et reçoit en lingala des Bangala). S’en est trop ! De retour dans mon coin de savane, je DOIS me rendre à son expo. Son idée est de rendre visible des visages noirs, des couples, des hommes et des femmes à travers ses photos. Capturer le moment et le sertir d’un diamant. Représenter et surtout jamais s’arrêter. Derrière nous ils sont des milliers en rang.

 Le rendez-vous est pris, un de ces dimanches on fait brunch avec la famille à Morges et on monte à Lausanne pour voir « ça » de près. Le « ça », la pulsion de l’urgence de celles et ceux qui veulent conjuguer le futur au présent, à la première personne du pluriel avec un supplément de pili pili.

Malheureusement, mon élan va s’encoubler dans la réalité rugueuse de notre chère Helvétie ; la semaine même de ma visite prévue à Lausanne en ce mois de novembre bien chargé, Ashley publie un communiqué annonçant l’arrêt prématuré de l’expo à cause d’un désaccord de fond avec la direction et la chargée de communication de l’établissement.

Alors je vois déjà les curieux froncer les sourcils et bien sachez que non je ne citerai pas de nom ! Je ne suis pas ici pour alimenter une polémique ce n’est pas mon genre, après tout qui se souvient ici de…bon…il s’agit du restaurant Le Raisin à Lausanne.

La raison évoquée en dit long sur l’importance du travail d’Ashley. En effet, il aurait semblé que la direction avait négligé l’aspect socio-culturel de l’exposition et ne pensait pas attirer ce type de clientèle. Pour ne pas déranger et froisser les uns on rejette les autres….tout va bien et le lac n’a toujours pas pris feu.

Quand tu es combattu-e c’est souvent parce que ton idée dérange et porte un message (trop) fort. Ashley met dans son art l’énergie du premier souffle de vie.

A douleur abominable, révolte abdominale et résilience abyssale. Ashley publie peu de temps après un autre communiqué annonçant que l’exposition change de lieu et se déroule tranquillement chez Tribus Urbaines, nouveau salon de coiffure au concept innovant.

Recevoir un coup, recracher la salive mélangée au sang et remonter sur le ring.

Ashley celle qui donne et reçoit. Et puis c’est tellement mieux de recevoir les siens chez soi nan ?

Du coup tous ces éléments ont construit un fantasme autour d’Ashley. Je me disais « faut qu’on se chope, mais comment ». Le monde est aussi petit qu’un raisin, ma sœur Meloss l’hyperactive travaille avec Ashley. Nous avons donc d’autres points communs et j’ai mon point d’accroche pour aller rencontrer le personnage.

Au premier contact téléphonique, la gentillesse et la douceur d’Ashley sautent aux yeux. Elle m’appelle Ndeko na ngayi et prend sincèrement de mes nouvelles. En bon animal blessé qui se respecte, je ne suis plus habitué à ce genre d’attention.

Le rendez-vous est pris pour un thé dans son atelier à Lausanne pour faire connaissance et être ensemble.

Ashley accepte même que je vienne avec ma fille, « c’est ma fille aussi » qu’elle me dit.

Hasard hasardeux, j’ai décidé récemment de montrer à ma fille des femmes noires qui « poussent » comme on dit. Sur le plan académique, économique, sportif, elles poussent et se rendent visibles dans la masse. Rendre l’invisible accessible et possible.

Nous arrivons donc à Lausanne dans la rue du rendez-vous. Ashley est déjà postée au coin de la rue en train de finir une cigarette qui lui tenait tête. Ça m’a rappelé la dernière fois que j’étais au pays et que j’avais annoncé ma venue chez ma tante. Ce jour là, mon oncle m’a attendu tout au début de la rue depuis le matin pour ne pas me louper et m’accueillir comme il se doit. Moi le galérien des aires d’autoroute, j’étais attendu.

L’accueil est chaleureux et le respect est mutuel. Je fais la connaissance d’H et c’est cool. Son parcours est une ode à la résilience. Elle me parle de son kikuchi et de comment elle s’est mise à faire de la photo. « En fait, c’est suite à un faux plan sur un shooting, le photographe nous a lâché alors j’ai pris le lead et depuis bah voilà». Aussi simplement que ça. Beaucoup de choses chez H font écho à la manière dont beaucoup d’entre nous ont été élevés, avec l’insolence de l’alternative.

Quand je lui demande comment elle a vécu l’arrêt de l’expo elle n’en garde pas vraiment de souvenirs mais me dit que grâce au soutien de ses proches elle est parvenue à passer outre. Elle me dit aussi avec évidence : «On est des Bantus, on résiste et puis moi j’ai pas le temps pour les racistes je m’en fous d’eux» en arborant un sourire déroutant, tout paraît simple chez Ashley.

Je pourrais écrire des jours sur cet échange. Une chose est sûre ; Ashley est le nouveau défi suisse. Celui qu’on tente de censurer et qui parvient malgré tout à transpirer l’évidence d’une partie de la Suisse qui a la chevelure crépue…sauf le mec de l’expo et moi.

« On est des Bantus, on résiste.. »

A l’issue de notre entretien, je me rends avec ma fille à l’expo chez Tribus Urbaines. Elle, qui est toujours agitée et qui commente tout, est silencieuse. Elle observe. Elle ressent. Moi je l’observe et la sens se projeter. Après avoir fait le tour des photos elle me dit « papa ça c’est les photos de tata Ashley, c’est joli ». L’invisible est beau, normalisé et transmis.

Au moment où ces lignes sont couchées sur mon bloc note aux pages brunies par le rum et l’usure, Ashley revient d’un voyage à Dakar (la maison mère) où elle a exposé son black love. Pas n’importe où. A l’Université Cheikh Anta Diop en face de la corniche qui mène chez le vieux Sarr où j’allais assister aux causeries sur l’éveil spirituel le samedi après-midi. Le message transcende les frontières pour revenir d’où il est parti.

Elle est de retour avec des projets multiples et variés dont la liste s’allonge jours après jours.

Entre la place du Flon et le stade du 20 mai à Kin coule un fleuve nommé Ashley, muntu badi ba mulowa, mwana nkoyi.

Ashley tu fais plaisir à voir et à ressentir. Ton travail est indispensable car il pose la lumière sur des visages et des histoires dont la beauté et la profondeur sont indicibles.

Wetu, le galérien sur son aire d’autoroute et ce type de client là…

 Le site d’Ashley

 

Photos Dakar Ashley

Photo d’Ashley Moponda…qui d’autre?

2 réflexions sur “Ashley Moponda, de l’invisible à l’indicible”

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