C’est l’été passé que j’ai croisé Omar dans la file d’attente qui amenait au concert chevelu de Sampah, Solange et Badu (en tapant Badu sur mon clavier Badibanga est apparu, ma go sûre) à Montreux.
« Eh mais je te connais toi, on est pote sur Facebook non? ». Passage délicat du virtuel au réel pour un mec qui se conforte dans l’anonymat. Après quelques mots échangés on se dit qu’on devrait se choper « un de ces 4″…Message évasif plein de promesses.
Quelques mois plus tard alors que j’essayais tant bien que mal de reposer le grand corps, je reçois un message de sa part : »Tu serai libre un moment que je t’appelle demain? (Je sais que c’est dimanche:) ». Visiblement il savait qu’il dérogeait à une règle, j’aime les courageux du coup j’étais interpellé. Bonne surprise mauvais timing. Il me propose de faire des apparitions tous les soirs en début de soirée du festival soulitude. Un fou, un de plus, je ne sais pas ce qu’ils mettent dans l’eau ici.
L’idée est réjouissante mais tombe mal; toutes les cases de mon mois de novembre sont colorées.
Pour rester raisonnable et respecter mon écologie personnelle bah j’accepte. Ça ne sera pas la première fois que je remplirai une case avec plusieurs couleurs.
Le seul hic, ça fait des années que je n’ai pas « presté »….et si…
À ce moment je me pose une kyrielle de questions toutes aussi belles que perverses.
Quel imposteur ! Je n’ai rien écris depuis longtemps là-bas mais là je vais être là faire comme si ?! Ok let’s ride.
Pour ajouter à la complexité, je me suis dis que je n’allais pas « réviser » pour ces coups d’un soir répétés. J’allais juste faire confiance à mes sensations. Plutôt dans l’année j’ai passé mon examen de praticien PNL de cette manière. Je me suis pointé à l’examen avec comme seule matière première les sensations, les tripes quoi, la boule au bide. Bien sûr j’avais travaillé pendant le cursus les gars on se calme. J’ai fait confiance à ce qu’il y avait « là » et ça a marché, 19,7/20 quand même, petit moment d’égo. Aux amateurs de secousses, je conseille à tout kinesthésique qui se respecte cet exercice. J’entends encore mon pote Ibra me dire « mec c’est un festival de connaisseurs si tu fais un truc pourri ils ne vont pas te louper et moi non plus». Pfff même pas peur, je me mettrai à côté d’une fenêtre pour partir avec le vent au besoin.
La veille du premier show je ne sais pas quel texte sera choisi mais j’y vais…
Jour 1 : Une heure avant le rendez-vous je me tape une petite sieste dans la golf cabossée non loin du lieu du crime. L’adrénaline est au rendez-vous et je souris en repensant aux injonctions d’Ibra. Finalement j’enfonce les casques anti-bruit sur les oreilles, je choisis ma playlist « into deep » et j’y vais. Tout au long du parcours à pied, le texte m’est venu. Ça sera Musicalement un texte du prochain album. Un texte sur le jazz et la poésie. Reste plus qu’à s’en souvenir en 45 minutes. Tranquille les tripes sont sur le grill ça va le faire.
Une fois arrivé sur place après avoir évité un malentendu qui me faisait passer pour un mec de la sécurité (trop vieux pour ça, le dos ne suit plus), je rencontre Omar pour la deuxième fois. On échange quelques mots, je demande une eau gazeuse et me mets dans ma bulle du mec qui ne souhaite pas être approché. A ce moment c’est la mise en abyme, à la recherche des sensations, de ce qu’il y a là.
Un mec de l’équipe du festival vient me donner les détails logistiques, je murmure que je ne veux pas de micro mais ne suis pas convaincu moi-même et rattrape mes mots en prétextant que je pensais à haute voix. J’opine du chef à ce qu’il dit histoire d’écourter le plus possible tout en respectant le gars c’est important.
Et puis bon bah ça y est on se lance, en vol plané. Je me pose sur le tabouret, croise quelques regards étonnés de personnes se demandant qui je suis. Je suis le gars qu’on n’attend pas et j’adore cette position. En fin de compte je n’ai rendez-vous qu’avec moi-même ici. Cette démarche est purement égocentrée.
La lumière bleue et chaleureuse s’écrase sur mon visage et je déroule mon truc ponctué de silence. Un hommage à mes vieux, les Miles, les Coltrane et consort. Ça fait plaisir les tripes déballent bien qu’un peu timides. Jazz et poésie, contrebasse et whisky, musique de bantou, tout y est, c’est fort, c’est cool. Je termine, discute avec quelques personnes venues à ma rencontre (les courageux) et file retrouver ma fille à qui j’ai promis un bisou avant qu’elle s’endorme bien que la tête d’affiche soit colossale (Kamaal Williams).Comme dit Lino « tout ce putain d’or du monde vaudra jamais le sourire de ma fille ». Sur le trajet du retour j’ouvre mes mails et découvre que mes résultats à l’examen de coaching sont arrivés, « réussi avec brio » merci les tripes. Le vieux Ekwé m’appelle pour me demander comment ça s’est passé. « C’est comme le sexe et le vélo en fait… »
Jour 2 : Toujours dans la même dynamique, je me dis que je vais laisser les tripes faire et voir où cela me mènerait. Je pensais aborder la question de la prise de recul et de la remise en question mais sans savoir quel texte interpréter. Au milieu de l’après-midi l’idée de reprendre un vieux texte m’a traversé l’esprit. Je vais faire la virgule, extrait de mon premier album. Toujours sans réviser le truc. Il faut bien comprendre une chose ; l’écriture est une démarche humble, sincère et intime. Quand j’écris c’est toute mon histoire qui est mise à jour, mon ADN. Du coup même un texte écrit il y a dix ans reste gravé dans la mémoire comme un alphabet, ou la date de naissance de ton premier enfant (pour les suivants tu mets un reminder dans ton calendrier non ?).
Ce soir là, Omar et la team ont un petit retard et ce n’est pas du tout dérangeant ça me laisse le temps de savourer en boucle ce son de Theo Croker, un pur délice. Submergé dans une délectation dans mon coin VIP (very introvert person) depuis un petit moment j’aperçois un sourire contagieux c’est mon pote Rox venu de Lausanne (eh ouais carrément) pour assister au récital de l’humainement légendaire Bobbito Garcia. On discute de tout et de ce qui va avec. Ça me fait plaisir de le voir. Le voir là me ramène des bons souvenirs.
Quelques personnes présentes la veille viennent me donner leurs impressions sur mon passage de la veille. « Ah ouais lourd gros ». Je ne sais pas comment prendre ces deux adjectifs qualificatifs, s’agit-il de ma prise de poids récente ? Est-ce que le comparatif avec le très magistral Oxmo va aussi dans ce sens? Bref, encore une fois j’opine du chef pour écourter avec respect.
Arrive le moment où Omar me fait signe pour m’indiquer que c’est à mon tour dans deux minutes, un peu short comme délai mais c’est ok le barbecue interne est fonctionnel.
Je passe à côté de Bobbito assis sur le sol et me lance dans ma joute verbale. « La course au pèze ne m’a rapporté qu’un pesant d’or alors mon appétence du repos se fait omniprésente, je pèze mes mots, que les idiots se taisent et que les ressentiments se tassent… ». Tout est encore là en moins timide que la veille. Je repose le micro et Bobbito me serre la main « good looking out man ! », « thank you I appreciate ».
S’en est suivi un bel entretien public avec le bonhomme.
Note pour moi-même : commander son livre…now !
Jour 3 : Le piège aurait été de me dire que c’était ok et de juste dérouler. Je me suis dis que j’allais ajouter un niveau de complexité et déclamer sans micro comme au bon vieux temps (ah la la). Du coup je savais que j’allais me confronter à une résistance : celle de l’équipe. Comment ça sans micro ?!!
C’est la réaction en général, logique. Eh ouais cette fois ça sera avec le plus simple des appareils ; ma caisse de résonnance. Rien de mieux pour interpréter Bantuïzm qui parle de liberté.
Ils ont réussi à obscurcir encore plus la salle ce soir c’est parfait. J’ai eu du silence et de l’obscurité tous les ingrédients pour me mettre à l’aise. Au moment d’y aller, Omar, que je sens un peu fatigué par tant d’énergies déployées pour ce magnifique projet, me regarde d’un air perplexe (sans micro ?). J’évite le contact, là je sais ce que je fais laisse faire tonton.
BOUM ! Alors que personne ne s’y attendait je commence mon monologue altruiste à haute voix. J’adore ces moments où on te prend pour un fou mais vu la carrure on n’ose pas te le dire, délicieux.
Je crois que c’est mon soir préféré, ce soir tout est aligné et ma bouche déborde de mots, je suis en phase, complètement. Tu déclames en transe sans savoir quelle est la prochaine rime mais tu es en confiance, tu es sur le fil, tu sens ton pouls. A ce moment je ne suis pas seul devant des inconnus je suis avec tout le clan ; le père, le frère, le grand-père. Les énergies se bousculent et m’apaisent. La loi de gravité a trouvé l’exception je suis en lévitation. Merci les tripes.
S’en est suivi un entretien avec la maman du regretté Jay-Dilla, quand c’est la daronne c’est quand même une dimension plus profonde. Le frère Illa J est là ; Maseo aussi, le Donuts aussi. Le carton est plein. Belle soirée emplie de belles énergies et de sons qui font mal à la nuque. Soirée entre jeunes vieux en basket avec des poils blancs dans la barbe (j’en compte sept je suis foutu).
Avant de partir je cause vite fait avec Omar. On se fait un passe-passe de compliments de circonstance. Le respect est mutuel. Je pense qu’il devrait me booker avec mon band l’année prochaine (je pose ça là). A la sortie je croise une femme qui m’avoue en larmes que mon passage a résonné en elle et qu’elle partait avec « un truc » en plus. Si je peux aider c’est cool j’ai envie de dire.
Plus tôt dans le mois lors d’une séance de coaching, un client m’a avoué avoir peur de sa propre puissance, je comprends mieux maintenant. Je trouve la mienne silencieuse, profonde et surtout prête à affronter la routine d’un mois de novembre coloré. Vous avez dit résilience ?
Demain rendez-vous à 6h12 pour attraper le train de 6h49. Rouler sa bosse et revenir. Découvrir et se rendre compte qu’on n’était pas vraiment parti.
Dédié aux migrants de l’intérieur…
Wetu.
2 réflexions sur “Le séjour discret d’un solitaire au pays de la soul”