Ça faisait un moment que je n’écrivais plus. Après avoir écris NUMANIST ; le dernier morceau écrit pour mon prochain album Doux Amalgames. Soit dit au passage, je suis impatient de vous le servir sur un plateau. J’ai eu la chance de travailler avec Fred Hirschy et Laurent Masta (si vous ne les connaissez pas, la barre de recherche de google peut remédier à ce problème). Le produit est, en ce moment même, en train de passer l’étape cruciale du mix et comme on dit avec mon frère ; c’est trop doux !
Où j’en étais ? Oui voilà ! Donc je n’avais plus rien écris depuis très longtemps, je me retrouvais devant mon ordinateur, dans les conditions nécessaires pour pondre et rien ne sortait si ce n’était des redites plates et vides de sens. Je commençais à me dire que c’était la fin d’une ère, celle de Wetu le mec qui écrit. J’ai longtemps tenté de me convaincre que la magie n’était plus, en vain.
Il est important de dire que ma façon d’approcher l’écriture a toujours été de l’ordre du mystique. Le processus commence toujours de la même manière. Dans un premier temps, je répète un mot ou une phrase frénétiquement comme si je voulais l’épuiser. Ensuite, arrive le moment où je deviens nerveux ou grincheux parce que je cherche urgemment à m’isoler et coucher ça sur le carré blanc. En général le texte est écrit assez rapidement et une fois sauvé sur mon disque dur il passe une série de tests de sécurité afin de m’assurer qu’il réponde à mes standards. Cette phase du processus peut s’étaler sur plusieurs semaines, elle dure le temps qu’il me faut pour être convaincu. Une fois seulement le tampon de validation apposé, le texte est signé et peut être déclamé en public.
Ce processus me manquait cruellement et laissait un trou béant dans mon existence.
Miles Davis disait que l’urgence était son moteur et que le jour où il ne ressentirait plus cette urgence, il arrêterait de jouer.
Moi, elle m’avait quitté. Cette urgence. Celle qui s’imposait à moi, qui se voulait exclusive et exigeante. Elle m’a arraché des bras de femmes sans explications, m’a fait annulé des rencontres entre amis de longues dates toujours avec le même prétexte : « j’ai un truc à faire je t’expliquerai ».
J’étais livré à ce nouveau moi vide, inanimé à la recherche de son urgence créative qui donnait un sens à sa vie. Vide. Perdu. Triste. Apeuré. Frustré.
De ma torpeur, je fus extirpé vendredi dernier par un post d’une sœur sur facebook sur lequel j’étais identifié. Au début je n’ai pas prêté attention au contenu. J’étais en train d’aller au travail, à l’usine comme j’aime bien dire.
Ce travail qui me procure une stabilité financière fragile, qui me permet d’assurer le gît et le couvert pour ma famille et qui, aussi, m’éloigne, malgré moi, de ma base, mon tout, mon sanctuaire, mon sang bleu, mon heure bleue : l’écriture.
Tentant tant bien que mal de rentrer mentalement dans ma liste de choses à faire, je suis dérangé par les notifications sur mon téléphone. Je lâche un grognement, tel l’ours que je suis tous les jours en automne, et là je suis pris de court, j’avais baissé ma garde et reçu un uppercut bien placé. Je n’y croyais pas mes yeux. Il s’agissait d’une campagne de collecte de fonds d’une ONG dont je ne veux plus prononcer le nom. Cette campagne m’a fait vomir la haine que je contenais depuis tout ce temps de non-activité. On se moquait de moi, on se moquait de mon père, on se moquait de ma mère, on se moquait…de ma fille. Je regardais mon écran, l’œil bovin, le pouls s’encoublant dans des émotions que j’avais décidé de mépriser, ne sachant pas quoi dire. Heureusement, la vie me l’a appris, chaque épreuve comporte une bénédiction et une leçon. Je n’ai pas encore pris le recul nécessaire pour tirer la leçon de cette aventure étant donné qu’au moment où ces quelques mots sont écrits, je suis toujours en colère. Par contre la bénédiction était évidente et criante. Entre les insultes qui s’affichaient sur mon écran à travers cette campagne, se dessinait le contour de mon urgence. Elle était de retour. Je retrouvais sans trop tarder mes mimiques. Je répétais en murmurant « raciste, sexiste, Elikya (ma fille), sexiste, raciste, ok, ok, ok » jusqu’à mon retour chez moi au soir. Impossible pour moi de faire autre chose que d’écrire, j’avais besoin de sortir le truc. Je me mis devant l’ordinateur et dame urgence a pris le contrôle. Je retrouvais mes repères sans trop d’efforts bien que par moments certaines tournures de phrases manquaient de goût mais je continuais assidument ma tirade. Je transpirais, j’avais des crampes aux poignets, je murmurais « vas y putain ! » comme si je m’étais extrait de la situation pour m’observer en spectateur. L’urgence me menait la vie dure. Ma fille vint me demander de lui dessiner un poisson je lui dis sèchement « je ne peux pas là je travaille ! ». Elle n’a pas bronché et s’est assise à côté de moi calmement, sa présence m’a donné de l’énergie pour repartir dans le truc et le terminer. A la fin je suis épuisé mais je l’ai fait, j’ai écris ça y est j’ai rompu le cycle infernal. On dirait que je me suis battu physiquement, mon visage est défait, les veines de mes mains sont protubérantes et mes mains tremblent. Le truc est là, brut, fumant, sale mais c’est le mien.
Le texte a une double signification pour moi ; il me permet de me défendre des attaques grossières d’un groupe de sots et aussi de renouer avec mon urgence. C’est mon soubresaut pour sobres sots. Comme on dit au pays « na lawuki ! », j’ai mis fin à cette léthargie.
Peut-être que la leçon à retenir est que mon urgence est aussi mon moteur comme le disait tonton Miles.
Je suis de retour.
Je remercie celles et ceux qui m’ont écrit pour me livrer leurs impressions sur le truc et surtout pour les conséquences correspondantes.
Je dédie ce retour en fracas à mon vieux Miles qui n’est jamais très loin, à cette sœur qui m’a replongé dans le truc et à vous.
Wetu signifie littéralement le notre en tshiluba je pense que mon père a écrit une partie de mon histoire en me donnant ce nom. J’écris pour moi et pour ceux qui veulent bien le recevoir.
A très vite dans l’urgence…
Sincèrement votre, Wetu.
Une réflexion sur “Le soubresaut pour sobres sots”